Les parents et Facebook… : alors que certains multiplient les clichés de leurs bambins sur leur mur, d’autres parents s’y refusent, par principe. Quelles sont leurs motivations ? Cette surexposition peut-elle avoir des effets néfastes sur l’enfant ? Décryptage avec le Dr Stéphane Clerget, pédopsychiatre.
Bébé sur Facebook : l'enfant a une identité numérique de plus en plus tôt
Depuis quelques mois, les futures mamans peuvent informer le monde entier de leur grossesse grâce à une nouvelle fonctionnalité du profil, la case “enfant attendu”. Bébé n’est pas encore né qu’il imprime déjà sa marque dans le monde numérique. Et quelques jours – voire heures grâce aux smartphones – après sa naissance, bébé a déjà sa bouille sur Facebook. Avec cette version 2.0 du faire-part, on annonce au monde (virtuel) la naissance de son enfant, photo à l’appui.
Ainsi, selon une étude internationale réalisée par AVG (une entreprise de sécurité sur internet) en 2010, 26% des mamans françaises interrogées ont posté des images de leur nouveau-né sur Internet, et 74% des images de leur enfant de moins de deux ans. Ce qui situe en moyenne à 6 mois l’âge moyen de naissance sur le Web pour un tiers des bambins.
Facebook : l’album photopour bébé... nouvelle génération
Chloé à la mer, Enzo déguisé en batman, Sarah souffle sa première bougie… Autant de tranches de vie que l’on montre à ses contacts. Pour nombre de parents, la motivation est simple : « Partager des moments du quotidien malgré les kilomètres qui nous séparent », comme l’explique Isabelle, une maman "facebookienne". Loin d’isoler, Facebook permet alors de rapprocher, de recréer du lien là où la distance et le manque de temps nous éloignent. Dans ce contexte, Facebook fait office d’album photos nouvelle génération, pratique, rapide à créer et à alimenter, assurant une grande visibilité en un clic. Cousin éloigné, copain du primaire ou ami expatrié : tous les « contacts » peuvent admirer la progéniture.
« Les photos postées peuvent en effet être un moyen de présenter son enfant à différents âges, comme le faisaient autrefois les photos papier. A la différence près que les celles-ci restaient la propriété exclusive des parents, contrairement aux photos publiées sur Facebook, qui en devient le propriétaire », met en garde le Dr Stéphane Clerget.
Bébé sur Facebook : les clichés du bonheur
Les parents sont fiers de leurs enfants – et c’est bien normal. Ils font partie intégrante de leur vie, de leur identité. Ne pas mentionner leur existence, c’est comme masquer tout un pan de leur vie, le plus important souvent. « Mes enfants, c’est ma vie », résume si bien Agathe, une autre maman.
Et pour illustrer cette vie, les photos sont toujours bien choisies. A un Lucas qui fait un caprice, on préfèrera un Lucas qui fait de jolis châteaux de sable sur la plage. Les soucis du quotidien avec des enfants, la fatigue maternelle, les colères n’ont pas droit du citer sur le mur. Priorité aux clichés – dans les deux sens du terme – du bonheur. « Ce qui, en soit, n’est pas négatif, car on est influencé par le mythe que l’on montre aux autres. Montrer du bonheur, c’est tendre un peu plus vers le bonheur », note le pédopsychiatre. Qui ne manque cependant pas d’ajouter que parfois, les clichés montrés sur le réseau social tombent dans le travers inverse : « on y voit parfois des photos dignes de vidéogag, qui tournent en ridicule l’enfant, avec un total manque de respect. C’est presque de la maltraitance… »
Bébé sur Facebook : mon enfant, mon profil
Perrine, 30 ans, est une jolie jeune femme. Mais sur sa photo de profil, c’est un visage poupin qui apparaît. Non pas le sien, mais celui de sa fille. « Il est tout à fait naturel d’être fier de son enfant, de le mettre en avant, de montrer que son enfant est sa plus belle réussite », consent le spécialiste. A condition toutefois de ne pas s’effacer derrière son enfant, de nier sa propre altérité, de s’oublier dans son rôle de maman.
Mettre la photo de son enfant à la place de la sienne peut alors être une illustration parlante du fameux « enfant roi ». « C’est l’un des enjeux éducatifs d’aujourd’hui : laisser l’enfant à sa place d’enfant, ne pas le mettre au-dessus des parents. L’enfant doit être un prince ou une princesse qui aspire à être roi, insiste Stéphane Clerget. Il doit savoir qu’il n’est pas l’unique centre d’intérêt de ses parents, il faut lui laisser de l’espace pour progresser, pour devenir plus intéressant. » On laisse donc l’enfant à sa place d’enfant, et vous à la vôtre : reine en votre royaume – et sur votre profil FB !
Bébé sur Facebook : des années d’identité numérique
Les photos de nos enfants sur le Net soulèvent également le problème de la vie privée, du droit à l’image. « Est-ce que l’apparence de nos enfants nous appartient ? », s’interroge le pédopsychiatre. Publier des photos de ses enfants sur Facebook, c’est violer son droit à l’image, abuser de notre statut de parent, avancent les parents hostiles à cette pratique. Autre argument : imposer à son enfant des photos qui le « poursuivront toute sa vie », comme autant de casseroles susceptibles de le desservir, notamment dans sa vie professionnelle.
JR Smith, PDG d’AVG, déclarait à l’occasion de la publication des résultats de l’étude trouver « choquant de constater qu’actuellement une personne âgée de 30 ans a un historique internet remontant à 10 ou 15 ans tout au plus, alors qu’une grande majorité des enfants d’aujourd’hui auront déjà une empreinte online bien avant d’avoir atteint l’âge de deux ans, une présence qui continuera à s’étoffer tout au long de leur vie. »
« Les réseaux sociaux ne m’apparaissent pas assez confidentiels pour y poster des photos personnelles, conclut Stéphane Clerget. Dans les années 70, nous avions cette grande crainte du Big Brother qui surveille tous nos actes. Aujourd’hui, nous y sommes. Et nous y participons » En postant des photos sur Facebook, on accepte en effet de donner nos photos personnelles à une entreprise privée. Qui peut alors en faire ce qu’elle veut…